J’ai passé plusieurs années au Laos, de l’automne 1991 à l’aube de l’an 2000, à essayer de faire du commerce… Etape incontournable de mon voyage initiatique à l’Asie, j’en suis reparti sans avoir vraiment fermé la page… Une décennie plus tard je suis revenu au “Pays du Million d’Eléphants”, je me suis arrêté à Vientiane ou finalement rien n’a vraiment changé après toutes ces années.
Je me suis promené dans les rues de la ville, à la recherche de souvenirs oubliés de ces années passées au Laos…
La journée commence à Nongkhai, en Thailande, par le passage du Pont de l’Amitié qui enjambe le Mékong. De gros bus ont remplacé les navettes qui emmènent les passagers de la rive siamoise à la rive laotienne, mais ils sont toujours aussi bondés. Au début de mon premier séjour le pont n’existait pas, on passait le fleuve en pirogue. Aux basses eaux il fallait descendre d’un côté les marches jusqu’au ponton et ensuite de l’autre les remontés jusqu’à la douane. Le franchissement du Mékong sur le « Pont de l’Amitié” me laisse jamais indifférent, à chaque fois je ressens une petite émotion, une joie retrouvée, un retour vers le passé… Aujourd’hui le fleuve est proche de ses hautes eaux. Après les dernières crues arrive la fin de la saison des pluies marquées par la sortie du carême bouddhique et les courses de pirogues durant les mois d’octobre-novembre de chaque année selon le calendrier lunaire.
L’arrivée au Laos est saluée par le drapeau de la République Démocratique Populaire Lao flottant dans le vent matinal. Au guichet de l’immigration la sempiternelle attente pour la délivrance des visas à l’arrivée. A la sortie du tourniquet la même foule de chauffeurs de tuk-tuk et de taxi à affronter…
Assis à l’arrière de la voiture je regarde le paysage défilé, petit à petit les images du passé reviennent mais elles ont parfois du mal à cadrer avec le présent. En dix ans il y a eu beaucoup de transformations.
Le taxi m’a déposé à mon hôtel, pas loin du quai Fa Ngum. Le temps de me rafraichir et deprendre un petit-déjeuner lao, café, oeufs au plat et du pain français avant de sortir flâner dans les rue de la “Cité de Santal”. Les choses ont changé, cependant Vientiane, dans certains quartiers, a gardé sa tranquillité de sous-préfecture telle que je l’ai connue.
Dans la cour des pagodes dorées, vide d’animation, règne toujours ce calme serein, à peine perturbé par les bruits et murmures venant de la cité. Les rues du quartier Anou sont restées les mêmes, identiques à celle que j’ai connues. Les mêmes boutiques, les mêmes restaurants, les mêmes marchands de « pho » (soupe vietnamienne au boeuf et aux nouilles de riz), de sandwichs lao aux étales remplies de boites rondes de “Vache qui rit” made in Vietnam. Des commerces ont disparu, d’autres ont pris leur place. La carcasse délabrée du cinéma Vieng Samai, à la devanture en accordéon, est toujours là, défiant le temps. L’hôtel Anou a retrouvé une nouvelle livrée, sa façade décrépie par des années d’inactivité s’est effacée dans l’oubli du passé. Le Centre Culturelle Russe, à l’angle des rues Setthathirath et Khoun Boulom, a fermé ses portes, une société d’import-export a pris la succession.
Place Nam Phou, l’immeuble de l’ancien centre culturel français, devenu un temps le ministère de la propagande puis laissé à l’abandon, empaqueté de tulle vert et bleu, est figé dans une rénovation permanente. La fontaine, dénudée du “bier garten” qui l’entourait, apparait commeendormie. Le local des « amitiés lao-vietnamiennes”, en face du restaurant “Le Provencal” rue Pangkham, a fait peau neuve pour célébrer ses 37 années d’existence. Par endroit la modernité surgit de glace et d’acier d’entre les échoppes surannées des tailleurs vietnamiens et prêteur chinois.
En longeant la rue Samsenthai, derrière les frondaisons, on aperçoit se dessiner les frontons des anciennes villas coloniales de l’époque française. Certaines demeurent dans leur état d’origine, le crépit délavé au fil des ans, les couloirs carrelés résonnant encore des cris des enfants emportés par la révolution. D’autres ont été rénovées, abritant le siège social d’une grand firme ou d’une institution internationale, un restaurant chic.
Les drapeaux, banderoles, affiches, instruments de la propagande du parti communiste lao sont toujours présents, dressés à chaque coin de rue, accrochés à chaque réverbère, pendants aux façades de chaque édifice publique, des banques gouvernementales et de toutes les sociétés unies à l’effort national, inondant la ville de leurs couleurs rouge, jaune et bleue.
L’avenue Lane Xang, les “Champs Elysées » de vientiane, tracé rectiligne partant du Palais Présidentiel et débouchant sur la place Patou Xai, où trône l’omniprésent “Arc de Triomphe”, est maintenant bordée d’immeubles modernes où les grandes sociétés et les banques y ont installé leurs bureaux. Les trottoirs, enjolivés de parterres de fleurs et d’arbres aux couleurs multiples, rendent agréable la flânerie, entrecoupée de dégustation de mangues vertes à l’ombre des feuillages. Les marchandes vietnamiennes sont toujours présentes, déambulant le long des allées bordant l’avenue.
Le Marché du Matin ou “Talat Sao”, le grand bazar de Vientiane, est en pleine mutation. On a du mal à discerner les vieux bâtiments écrasés par l’imposante masse du nouveau centre commercial. Mais ce n’est qu’une apparence, à l’intérieur on retrouve le même capharnaüm et déballage de marchandises, la même ambiance de souk à l’asiatique comme auparavant.
De la Place Patou Xai en continuant sur la rue du 23 Août (date de la prise du pouvoir par lePathet Lao en 1975) on arrive sur l’esplanade du Pha That Louang qui domine de sa flèche doréela statue du roi Setthathirath. D’une hauteur de 45 mètres et censé abriter une relique du Bouddha, le stupa est devenu le symbole national du Laos. La fête du That Louang en novembre est l’occasion d’une immense kermesse.
De retour vers le Mékong, Je suis retourné à Ban Khoun Ta en passant par la voie longeant le fleuve. Il y a une dizaine d’années ce n’était qu’un chemin de terre bordé de hautes herbes et de kapokier entrecoupés de guinguettes rustiques construites sur pilotis. Aujourd’hui les petits bistrots ont disparus, arrachés par les pelleteuses travaillant à la réfection et à l’aménagement des berges. Ils sont remplacés par des bars aux larges terrasses couvertes de parasols jaunes et verts. Ca n’a malheureusement plus le même charme…
Je suis allé voir la maison au bord du Mékong où j’ai vécu durant toutes ces années passées à Vientiane. Elle n’a pa changé, le même crépi, le même jardin, comme si elle était restée en dehors de tout ce temps passé, seulement de nouveaux locataires. J’ai revu son propriétaire, habitant la maison derrière, on s’est embrassé, on a pleuré, on a ri, en évoquant nos souvenirs…
Pour finir la journée, je suis rentré à l’hôtel par la Route de Louang Prabang qui mène à l’aéroport de Vattai et devient ensuite la Route 13 Nord. Au moins une chose qui n’a pas changé, il y toujours autant de poussière. Prenant la direction du centre ville je suis passé devant l’hôtel Novotel qui a conservé sa marquise style “art nouveau”.
L’après-midi tire à sa fin, les rues commencent à se remplir de flux de voitures et de scooters. Toute la ville et les touristes affluent au bord du fleuve. La promenade du Quai Fa Ngum est envahie d’écoliers, de joggers, de badauds et de couples d’amoureux. Les restaurants en plein air installent leurs étales chargées de victuailles. Pendant ce temps les lumières rasantes du soleil couchant se mirent dans les eaux d’argent du fleuve avant de fondre dans l’obscurité. La vie nocturne commence à s’animer. Enseignes, lampions et néons multicolores s’allument un peu partout. Des cuisines s’évadent des fumets odorants remplissant l’atmosphère de leur senteurs alléchantes. Il ne me reste plus qu’à m’engouffrer dans un des nombreux pubs ou coule à flot la Bière Lao…
Un récit de Jean-Baptiste Fournier, fondateur d’Indochina RoadTourer, le voyage à moto.
Nick